Un matin glacé de février, dans un café du 20ème arrondissement, j’ai rencontré Julien Marcland, le créateur de Duodecim, un jeu de poésie. Depuis, il m’est devenu difficile de commencer mes journées sans faire de poésie et d’écrire autre chose que des alexandrins. Non, je déconne.
Jeu + Poésie = l’Oulipo
Si vous faites des recherches sur la combinaison du jeu et de la poésie, vous ne pourrez passer à côté de l’Oulipo. Mais de quoi s’agit-il?
L’Ouvroir de littérature potentiel est : un groupe international de littéraires et de mathématiciens se définissant comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. »
Ce groupe, qui n’est ni un mouvement littéraire, ni un séminaire scientifique, est une association fondée en 1960 par François Le Lionnais, mathématicien, et l’écrivain et poète Raymond Queneau.
Raymond Queneau utilisateur d’une forme de poésie, dite poésie combinatoire. Elle consiste à créer à la volée, un grand nombre de poèmes en se basant sur un ensemble de vers pré-écrits. Raymond Queneau a publié un livre célèbre, intitulé « Cent mille milliards de poèmes » en se basant sur cette idée.
Dans ce groupe, donc, ce sont la ou les contrainte(s) imposée(s) qui sont créatrices de jeu, et le jeu qui est créateur de poésie. Parmi les contraintes utilisées par les « oulipiens », on peut citer le classique anagramme (inventé bien avant), le lipogramme (l’auteur se fixe comme contrainte d’écrire sans utiliser une lettre), le poème anatolien (qui peut se dire sans que les lèvres se touchent) ou encore le cornichon (quand on choisit des mots dont les deux moitiés présentent un même rapport sémantique).
Bref, depuis 50 ans, grâce à l’Oulipo, jeu et poésie font particulièrement bon ménage.
DuoDécim, naissance d’un jeu de poésie
Inspiré de l’Oulipo, de la poésie combinatoire et de sa propre expérience en tant que poète, dramaturge, comédien, docteur en philosophie, professeur et metteur en scène, Julien Marcland a eu, il y a bientôt 6 ans, l’idée de créer ce jeu de poésie.
Ce jeu est la combinaison de trois éléments de la vie de Julien : le théâtre (référence du point de vue de la connaissance des alexandrins via Racine et Corneille notamment), les happenings poétiques (au cours desquels le public participait à la création de poèmes collectifs, en écrivant sur des fiches bristol des morceaux de vers, comme celui gigantesque qu’il organisa et interpréta avec environ deux cent personnes au festival de Lodève Les Voix de la Méditerranée en hommage à Jacques Roubaud), et le rami, grand classique du jeu, un classique des après-midi en famille chez son auteur.
Il s’est ensuite passé 6 ans entre l’idée et la sortie du jeu. Un temps nécessaire pour un jeu dont le caractère littéraire rend la création moins soumise à la rigueur d’un algorithme que pourrait l’être d’autres jeux. Mathématiques et littérature, les deux disciplines qui ont contribué à la création du jeu, sont ses deux composantes principales. Comme l’Oulipo, me direz-vous.
De nombreux tests ont été faits au cours de ces 6 années, notamment pour aboutir à des cartes ne dépassant pas les 5 syllabes.
Le principe du jeu
Le principe du jeu est simple, et ses utilisations infinies. Comme l’indique sa signature, il s’agit de « faire des vers sans en avoir l’air ». Vous piochez des cartes, sur lesquelles figurent des mots et le nombre de syllabes associées. A vous ensuite de créer des alexandrins et de les poser sur la table. Il existe 7 cartes différentes 1,2, 3, 4, 5, chance et joker. Ce jeu s’adresse aux petits comme aux grands. Il peut être utilisé dans les écoles comme dans les maisons de retraite ou au café.
Une invitation à créer, à jouer avec les mots qui permet d’enseigner de façon ludique la langue française, ses subtilités et d’initier à la poésie. Une partie de Duodécimes peut être tantôt drôle, tantôt émouvante. On peut y jouer en solo, en duo, en famille ou entre amis, en comptant les points ou non. Plein de petites règles viennent agrémenter la partie, comme le fait de retrouver des vers célèbres.
Autre élément intéressant : le jeu respecte la parité !
Les perspectives de développement
Les ambitions de son créateur sont simples, comme les règles du jeu : « Si je deviens le scrabble de la syllabe, ça me va ». En attendant, ce gros boum qu’on lui souhaite ainsi qu’à son éditeur et co-auteur Play Factory, d’autres versions du jeu sont envisagées : le petit Baudelaire (en cours), le petit Hugo, Corneille VS Racine, la version Kid, la version anglaise ainsi que l’application iPhone …
« Si je deviens le scrabble de la syllabe, ça me va »
Et parce que « de la contrainte naissent le jeu et la création », Julien m’a confié que pour ceux qui participeront à son stage d’écriture en Grèce en septembre 2018, il sera impossible de passer une journée à la plage sans faire des « poèmes de baignade », invention locale qui consiste à composer des tridents (535 syllabes) dans l’eau exclusivement au risque de s’y noyer avant de revenir coucher sur le papier le vers mémorisé une fois allongé sur sa serviette. Des amateurs?